SIRVENTÈS annexe historique

De tous les genres cultivés par les Troubadours, le sirventés est celui qui peut sembler à la fois le plus proche et le plus éloigné de l’imaginaire dépoétisé de notre XXIème siècle. Il s’agit d’un texte en vers chanté en général assez long où l’auteur prend soin de vilipender par le menu ce (et ceux) qu’il exècre en son siècle. Abordant les réalités les plus diverses de la société médiévale ces vers au ton pamphlétaire et scandalisé fustigent sans détours les travers des puissants, flétrissent les errements des clercs et des seigneurs, s’en prenant même, au besoin, au Créateur et à ses représentants sur terre. Volubile, alerte, d’une lucidité politique et sociale étonnante, vivifié par une maîtrise brillante de la plainte et du reproche, le sirventés connaîtra une fortune renouvelée lors des événements qui marquent tout le tiers sud de la France au tournant des Xllème et XllIème siècles.

Le Midi en proie au déferlement des croisés français alliés au Pape devient alors le terrain d’une guerre de conquête où la religion n’est qu’un prétexte parmi d’autres, et la barbarie la seule règle. Dévastée, sans secours, c’est toute la société occitane de la renaissance romane qui sombre dans la terreur, l’aristocratie est défaite, la religion cathare écrasée, les pays d’Oc colonisés. La poésie prend la dimension d’un refuge pour de nombreux faidits (chevaliers dépossédés), et pour tous ceux que ces bouleversements épouvantent ou mortifient, car la mentalité française paraît alors vile et fruste aux héritiers du Trobar.

En Pays d’Oc, le Trobar, c’est bien sûr un art poétique, mais aussi une philosophie et, incidemment, un art de vivre. Certains le font naître d’une rencontre inespérée entre le monde arabo-andalou et les cours princières occitanes, à la fin du Xème ou au début du XIème siècles ; d’autres attribuent son éclosion à la volonté des clercs et des gens d’Église d’apaiser les ardeurs d’une chevalerie souvent démonstratrice de sa seule puissance, en substituant la frénésie poétique au déchaînement des armes…. Quoi qu’il en soit, tous s’accordent à considérer le Trobar comme la première poésie européenne en langue vernaculaire (et non plus en Latin le premier exemple, aussi, d’élaboration d’une philosophie de l’amour depuis l’antiquité. Pendant les deux siècles où s’firme son prestige, cette poétique irrigue tout l’Occident médiéval, et de l’Angleterre à l’Italie, de la Catalogne à l’Allemagne ou à la Hongrie, on se met à trouver.

Pour autant, pas plus les hommages rendus par les princes au temps de son apogée qu’à son déclin, l’admiration de poètes comme Dante ne permettront au Trobar de se garantir une postérité, et ses derniers zélateurs s’évanouissent vers Toulouse, aux premières lueurs de l’âge baroque. Ce n’est qu’au XIXème siècle, lorsque les Romantiques se passionnent à nouveau pour le patrimoine artistique médiéval qu’on reparle du Trobar. Et, conjugué à la renaissance de la langue d’Oc, cet intérêt inattendu rend possible l’exhumation de pans entiers de la littérature occitane, de nombreux auteurs imprègnent dès lors leurs créations de cette redécouverte : Mistral et les Félibres, bien-sûr, mais aussi, pêle-mêle, Mallarmé, Ezra Pound, Jean Cassou, Tristan Tzara ou, plus récemment, Jacques Roubaud.