D’une steppe improbable aux abords de Marseille, abandonnée à la vengeance des cieux par le retrait d’une mer oubliée ; de la Crau, de cette plaine aux chaos épars et invisibles, perdus dans le néant de leur immensité contrainte ; de la Crau, cernée par un monde d’usines vomissant flammes et fumées sur les espoirs de qui les écoute ; et, précisément, c’est de la Crau que vient la plèbe ouvrière qui avait irrigué ce sol aride de sa fièvre et de ses rugissements.
Une musique vive s’élance : De la Crau. Elle rappelle à l’auditoire qu’une voix magique continue à brandir sa beauté. Un tumulte d’où sourdent les déchirures du soleil, qui anéantit dans son abîme l’arrogance des puissants et réveille, au petit matin, le silence rocailleux des coussouls.
Trois musiciens ont engagé dans un concert incandescent toute l’âme de ces étendues lumineuses. La contrebasse de Mànu Reymond soulève par vagues de vibrations telluriques, parvient en nuées et tisse au fil des morceaux une succession de paysages qui lient les hommes au vent magistral (autre nom du Mistral) ; les percussions élégantes et robustes de Thomas Lippens scandent l’horizon, reflétant dans ses mirages ce qu’il peut esquisser de Naples ou d’Oran, d’Izmir, d’Alexandrie et de toutes les attentes qui soufflent par ses portes. La mandole de Sam Karpiénia est unique, inventant un rock enragé qui flotte, sombre et déchirant, propulsé par le chant comme par une tempête indomptée. Dans ce chant – qui emmène le provençal bien loin des poèmes bucoliques auquel on le confinait – Karpiénia s’inspire des textes poignants d’un Jòrgi Reboul ou d’un Pécout. Déployé en mélopées extatiques, en effusions de tendresse ou en un spoken word mercenaire, il emmène, par étapes successives, vers une sérénité brûlante.